Lena était assise tranquillement sur un banc, un gobelet de café à la main. Elle laissait ses pensées aller et venir comme elles l’entendaient, sans réellement chercher à se concentrer sur l’une d’entre elles. Elle avait profité de cette après-midi pour lâcher prise, pour se laisser aller. Il fallait avouer que sa nouvelle activité à l’Ordre était assez intense, physiquement et moralement. Elle avait à faire à des hosts particulièrement bien arrangés par les chasseurs et souffrait du stress de l’urgence permanente. Alors là, elle décompressait. Surtout qu’il y a deux jours de cela, elle avait trouvé dans le brancard un host complètement charcuté, victime d’une cruauté à la limite du barbarisme. Le chasseur qui l’avait attaqué était un vrai fou à lier, un monstre de violence. Et Lena était furieuse contre lui : elle avait promis à cet host qu’elle le retrouverait pour lui faire payer son geste.

Mais non, il ne fallait pas qu’elle pense à lui. Elle était là pour se vider la tête, pas pour écumer de rage. Pour se détendre, elle s’amusa à observer le flot de gens qui déambulait dans le Chemin de Traverse. Elle aimait bien observer les gens, essayer de deviner leurs pensées, leurs occupations. Cela lui permettait de prendre un peu de distance avec elle-même. Mais cette tête qui venait vers elle, elle la connaissait. Pas intimement, mais elle l’avait déjà vu quelque part. Lorsque son propriétaire rentra dans Gringotts, la lumière fit jour dans l’esprit de Lena. C’était lui. Le chasseur. Le monstre.

Sa fureur ne mit pas bien longtemps à submerger tout son être. Ses membres se crispèrent à tel point que son gobelet de café ne fit pas long feu. Il fut bientôt complètement écrasé dans son poing –heureusement qu’elle l’avait pratiquement fini. Elle décida d’attendre qu’il sorte, ne voulant pas faire une scène en pleine banque. Tapant nerveusement du talon sur le sol, triturant ses doigts, elle attendit, attendit… Puis au bout d’une quinzaine de minutes, sa rage était tellement forte qu’elle ne put plus se retenir. Elle se rua alors dans Gringotts, telle une furie, et chercha du regard Wilfried Rosenberg dans la queue interminable. Tous les visages étaient tournés vers elle, se demandant quelle sorte de folle venait de débouler ici, mais elle s’en moquait. Elle voulait dire sa façon de penser à cet imbécile, et elle ne s’en priverait pas.

Elle l’aperçut enfin. Elle marcha alors vers lui à grand pas, les yeux noirs de colère.

« VOUS ! »

Elle pointa du doigt le jeune homme, qui semblait abasourdi, et se rapprocha pour n’être qu’à quelques centimètres de son visage.

« Non mais c’est quoi votre problème ? Vous êtes un malade mental, un fou à lier ! Faut aller vous faire soigner ! »

Elle avait hurlé ça avec une vitesse fulgurante, et elle n’était même pas sûre qu’il ait compris le sens de ses paroles. Ce qui était sûre, c’est que sa voix avait empli toute la salle. Elle n’aurait pas été étonnée de découvrir que tout le Chemin de Traverse l’avait entendu. Elle le prit par le bras et l’entraîna alors de force dans un coin un peu plus isolé. Elle le regarda alors avec un air de mépris et de dégoût.

« Ryan Cooper, ça vous dit quelque chose ? Vous savez, le Host que vous avez tabassé et presque laissé pour mort… Je vous jure que je vous ferais payer ce que vous lui avez fait, sale ordure »

Elle lui avait dit tout cela, d'un ton calme et glacial, sans ciller. Elle espérait tout de même qu'il n'oserait pas lever la main sur une femme. Mais vu ce qu'il avait fait sur un être humain, elle n'était plus sûre de rien. Quoi qu'il en soit, elle n'avait pas l'intention de le laisser continuer...

Lena était déjà particulièrement furieuse, mais l’air du jeune homme face à elle aggrava encore sa colère. Il la regardait d’un air… d’ennui. C’était tout de même le comble ! Elle était en train de lui parler d’un être vivant, qui avait des émotions, des sentiments, et qu’il avait massacré avec une cruauté sans égale. Ce pauvre Host était venu au Château avec des ecchymoses abominables et des hématomes impressionnants. Mais non, cela ne lui faisait ni chaud ni froid. Il n’en avait tout simplement rien à faire. Comment pouvait-on être à ce point indifférent à ce genre de choses ? Un cœur de pierre. Un cœur de sanguinaire. Et puis, toutes ces insultes qu’elle lui jetait à la figure n’avaient même pas eu le mérite de le faire réagir. Il était bien le seul, d’ailleurs, puisque tout Gringott’s avait les yeux braqués sur elle, la pauvre folle hystérique. D’ordinaire, le regard des autres l’aurait résigné mais à ce moment précis, plus rien ne comptait à part ce monstre.

Il soupira, comme si toutes les paroles qu’elle venait de lui cracher dessus était d’un ennui mortel, et commença à s’éloigner sous les yeux de la jeune femme, haletante sous le poids de sa propre fureur. Il était réellement en train de se moquer d’elle, là. Lena avait atteint un niveau de colère incomparable et elle sentit son visage s’empourprer. Elle était furieuse d’être laissée ainsi par cette ordure, comme si elle ne valait guère plus qu’une vulgaire chaussette. Croyait-il que parce qu’elle était une jeune femme, elle était indigne d’avoir son attention ? Peut-être avait-il l’impression d’être face à une enfant, mais elle n’allait pas se laisser faire. Et sur ce plan-là, elle était très forte : quand une idée lui flottait dans l’esprit, rien ni personne ne pouvait la déloger. Elle irait jusqu’au bout.

Soudain, Rosenberg se retourna et revint vers elle. Il approcha son visage du sien et Lena eut la nausée en voyant le visage d’un barbare d’aussi près. Tout en lui était repoussant. Peut-être que si elle ne le connaissait pas, elle l’aurait trouvé plutôt séduisant. Mais ses actes sauvages ne cessaient de faire des allers-retours dans son esprit, de telle sorte que son dégoût était palpable. Soudain, il lui répondit, avec une arrogance qui lui hérissa le poil. Pour qui se prenait-il, celui-là ? Il avait beau être musclé, cela ne lui donnait pas le droit d’être insolent. Evidemment, elle se doutait bien que Ryan n’était pas le seul à qui ce monstre avait “réglé son compte”. Cependant, le sourire machiavélique avec lequel il lui avait dit était insupportable. Ma petite dame… Je t’en foutrais des ma petite dame…

Il s’éloigna alors, avec ce sourire carnassier, en prétextant un besoin d’argent pour son fils. Son fils ?! Parce qu’il avait un fils ?! Comment un être sans cœur pouvait-il avoir une femme et des enfants ? Comment pouvait-on tomber amoureuse d’un type pareil ? Cela défiait toutes les lois de la nature. Même pour dix millions de Gallions, Lena n’aurait même pas voulu passer du temps avec ce mec-là. Il était encore plus repoussant qu’un elfe de maison. Il pouvait bien s’éloigner, cela ne changerait rien. Elle l’attendrait de pied de grue. Il ne s’en tirerait pas aussi facilement. Pas après les immondices qu’il faisait. Il remonta bientôt, et Lena n’avait toujours pas bougé. Elle l’empoigna par la manche et le fit sortir dans le Chemin de Traverse, avant qu’il comprenne ce qu’il se passe.

« Des pouvoirs ? J’en doute. Ne me faites pas croire que vous n’utilisez pas l’arme des Chasseurs… Oh, à moins que vous ne soyez si peu reconnu dans votre clan, qu’on ne vous laisse pas le privilège d’en avoir une… »

Elle venait de lui dire ses paroles avec un air d’innocence très exagéré, pour bien lui faire comprendre qu’elle cherchait à l’atteindre.

Vous n’êtes que des lâches, les attaquant par surprise, de telle sorte qu’il ne puisse pas répliquer. Ne me dites pas le contraire, je l’ai vu de mes yeux. Bel exemple pour votre fils. J’espère simplement qu’il ne finira pas aussi abruti que son père. »

Elle le regarda d’un air de dégoût, sans ciller.