Dans ta tête, on y trouve quoi?

« Personne ne vous connaît mieux que vous-même. » Mais quel crétinisme ! Même si vous pensez vous connaître, vous découvrirez tôt ou tard que tel n’est pas le cas. Une situation nouvelle, une rencontre inédite, ou une simple méditation, sont autant de chances de vous montrer votre méprise. Ce qui faisait que Socrate était un si grand philosophe, c’est qu’il savait qu’il ne savait pas. Comment, alors, me dépeindre sans me tromper ? Sans compter qu'avec ma subjectivité, ma description ne sera sans doute pas très juste, mais puisque vous insistez. En combinant leurs données aux miennes, je devrais pouvoir tomber au mieux.

La plupart des gens me voit comme une personne avenante, un peu gamine, un peu moqueuse. Et je dois bien reconnaître qu’ils ont des raisons de me percevoir de la sorte. Je mets tout en œuvre pour qu’il en soit ainsi. Cependant, ce n’est pas moi qu’ils voient, seulement l’image que je leur en donne. Prétendre, simuler, fait partie de mon quotidien et d’aussi loin que je me souvienne, ça a toujours été le cas. « D’aussi loin » ne correspond qu’à quelques années, me direz-vous. Il est, certes, vrai que mes souvenirs ne remontent qu’à il y a peu, mais depuis que je me suis éveillée, j’ai toujours été comme ça. Toujours, sauf une fois et vu comment ça s'est terminé ...

Si je ne fais que paraitre, alors qui suis-vraiment, lorsque je suis seule avec mes pensées ? Excellente question. Tantôt égoïste et indifférente, tantôt attentionnée et altruiste, je ne peux qu'être lunatique... En fait, je suis prête à aider ceux qui en ont besoin, tant que ça n’a pas d’impact négatif sur ma propre vie. Ma survie avant celle des autres… Peut-être jugerez-vous que je ne suis qu’une ignoble calculatrice, un véritable glaçon, mais c’est vous qui vous vous mentez à vous-même. Aucun être vivant, sain d’esprit, ne place jamais vraiment une vie comme ayant plus d’importance que la sienne. Le sacrifice n’existe pas complètement et si une personne accepte de mourir pour une autre, ce n’est jamais désintéressé. On espère tous survivre dans le cœur des autres et ne jamais endurer les affres d’une perte. Mais ça ne m’arrivera pas, je me suis promise de n’avoir plus jamais une personne à perdre, alors je fais semblant. Je ne fais d’ailleurs plus assez confiance aux autres pour que cela m’arrive. Je suis de ce genre là, du genre à ne pas accorder plus de quelques centièmes de confiance à une personne : je ne les laisserais pas m’atteindre si facilement.

Et pourtant… Pourtant, très ironiquement, j’estime être une personne de confiance. Je connais mes limites, je suis réfléchie, et je ne donne ma parole qu’à condition d’être quasiment sure, au fond de moi, de pouvoir la tenir. Je sais pourtant que c’est impossible, mais je le pense quand même.

Seule et froide comme je suis, vous devez penser que ma vie est bien morne, sans vrai sourire, ni vrai bonheur, mais vous n’allez pas suffisamment au fond des choses. Si « l’Homme est un être social », je ne le suis que par nécessité. Je suis à coté, mais je suis là. Et si je ne devais devoir cette survie à une seule chose, ce serait moi-même. La distance imperceptible que je façonne avec les autres, l'application et l'attention que je porte aux moindre détails du quotidiens, ma soif de savoir... sont autant d'atouts que je cultive pour réchapper à ce monde de fous.

Et ton histoire, c'est quoi?

Une page blanche. Ma vie a commencée avec une page blanche.

21 décembre 2012

« MAIS QU’EST-CE QUE JE FOUS LA ?! » fut ma première question. Assise, sous la pluie, au beau milieu de la nuit, je n’y comprenais rien. Ma tête me lançait horriblement et la lumière du réverbère au dessus de moi n’arrangeait rien. En plissant mes yeux, je vis une ombre, à quelques mètres de moi. Un homme, debout sur le trottoir d’en face, me regardait l’air incrédule, un parapluie entre ses mains. Il s’approcha de moi et me demanda si j’allais bien, tout en m’abritant sous son parapluie. Je ne lui répondis pas tout de suite. J’étais complètement perdue.

Sans même savoir pourquoi, des larmes commencèrent à perler sur mes joues. Il prit alors mon visage entre ses mains, laissant tomber son parapluie et, cherchant mon regard, me demanda si j’étais blessée. Ses mains étaient si douces, si chaudes. Comme aucuns mots ne pouvaient sortir de ma bouche, comme étranglée par mes sanglots, je lui répondis en pointant douloureusement ma tête avec mon index. Mon corps était tout ankylosé. En voyant ma réaction, il m’annonça qu’il était médecin et que sa clinique n’était qu’à quelques rues. Puis ce fut le noir complet.

27 décembre 2012

Encore une fois, mes yeux furent agressés par la lumière. Je les refermais. Le bip léger que percevaient mes oreilles me laissait penser que je me trouvais dans un hôpital, ou du moins, un centre de soin. Une pression sur mon poignée me signala également qu’une personne était à mon chevet. C’était l’homme de l’autre jour. Il m’apprit que je m’étais évanouie et avais passé les dernières 134 heures ainsi, à cause d’une commotion cérébrale. Apparemment.

Après quelques minutes de discussion, il me demanda mon nom, et là, ce fut le drame. Je n’en avais pas la moindre idée. J’avais beau chercher, me triturer les méninges, je n’avais aucuns souvenirs, pas même celui de mon nom. Le cœur au bord de lèvres, j’eus cependant l’impression que le connaitre n’était pas normal non plus. Je devais lui répondre quelque chose. En cherchant à raccrocher mon regard à quelque chose, comme pour ne pas perdre pied, je me fixais sur l’une des plaques signalétiques de la rue, qu’on apercevait à travers la fenêtre.

« Je m’appelle … Harley Street ! »

Cela faisait quasiment un an que je ne savais plus qui j’avais été. Je n’avais jamais cherché à connaître mon passé, comme si au fond de moi je savais que ce que j’apprendrais ne serait pas à mon goût, comme si j’avais été une criminelle qui avait obtenu l’incroyable chance de tout recommencer à zéro.
J’avais commencé à aider Faust à la clinique et des choses étranges avaient commencé à se produire : des objets qui lévitent, des oiseaux qui sortent de nulle part, des nez qui se réparent en quelques secondes sous mes doigts …

Personne n’a jamais remarqué ce dont j’étais capable, et je me gardais bien de le faire savoir. J’avais comme un mauvais pressentiment, comme si le montrer à quelqu’un était une énorme bêtise et allait causer ma perte. Mais j’ai été bête, et j’ai fait confiance. Confiance à Faust.

Mon sommeil fut troublé par plusieurs voix à l’étage du dessous. Faust n’avait pas l’habitude de se lever à une heure aussi matinale. Je mis mes chaussons et resserrais sur moi ma robe de chambre. Il faisait froid, cette nuit-là.

A mi-chemin, en approchant dans des escaliers, j’entendis leur murmures. Faust répondait aux questions d’environs trois autres personnes, d’après leurs timbres. L’une d’entre eux, une femme, demanda où était la fille. Je me demandais de quoi elle parlait, mais la réponse me fut rapidement donnée.

« Elle dort au premier. Elle dit s’appeler Harley Street. Je l’ai recueilli il y a un an, sans savoir ce qu’elle était. Elle est assez crédule, si vous lui demandé en inventant une raison, elle vous suivra sans opposer de résistance… Euh … Je… je peux espérer recevoir … l’argent quand pour ce petit … service ? »

La femme lui répondit sèchement qu’elle ne savait pas, qu’il fallait voir avec ses supérieurs ou même directement avec Mr. Lincoln. Puis quelques secondes s’écoulèrent, et on commença à s’agiter en bas. Et moi, j’étais là, coincé en haut de l’escalier. Faust venait de me vendre ! Comment avait-il pu me trahir ? Il avait vendu son âme au Diable ...

Quand, l’un des hommes de mains posa son pied sur la première marche, j’étais toujours là, les bras ballants, accrochée à la balustrade. Je devais fuir, je le savais, mais je n’en avais pas la force. Alors je le regardais se rapprocher. De plus en plus près. Ses yeux dans les miens, je vis qu’il savait. Il savait que je savais ce qui allait m’arriver si je ne bougeais pas. Et pourtant rien. Mes jambes ne me permettaient aucun mouvement. J’aurais voulu fuir. Fuir loin. Loin d’eux, loin de Faust.

La situation semblait critique. Et pourtant, mon regard s’arrêta sur le cadre du fond. Il contenait une photo. Celle de nos vacances à Yorkshire : les moutons, les pierres et surtout, les paysages magnifiques et sauvages... Oh comme j’aurais tellement voulu retourner là-bas. Là-bas plutôt qu’ici !

Au moment où l’un des hommes posait sa main sur moi, je fermais les yeux et tout devint noir. J’eus la sensation d’une douce brise. J’avais du m’évanouir à nouveau. Pourtant, en ouvrant les yeux, j’étais seule. Seule au milieu des béliers et des brebis, dans un champ, au beau milieu de la nuit… C’était à n’y rien comprendre…

Depuis l'incident avec Faust, et je ne faisais plus confiance à personne. J’avais commencé à travailler en tant que détective privé : révéler une liaison, retrouver une personne disparue, … La routine, quoi ! Et dire que je m'étais lancée là dedans à cause d’une banale histoire de faux kidnapping. Finalement, je m’en sortais pas trop mal et je n'avais pas encore été rattrapée par la Lincoln Corporation. Pas encore ...

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