Il était une fois...

Ma mère est la première à m'avoir traité sans artifice, sans hypocrisie, tel que je le méritais, doit-on supposer... Elle m'abandonna, avant que je n'aie atteint l'âge de raisonner, afin de consacrer sa vie à ceux qu'elle aimait. Son amant et Isaac, bien entendu. Mon frère a toujours inspiré -de la plus naturelle des façons- quelque respect et folle bienveillance auprès d'autrui. Je crois même ne point déroger à la règle, mais que voulez-vous, il est Jekyll, je suis Hyde. J'ai vécu dans son ombre, dès le début de mon existence, je n'ai pourtant jamais eu de cesse de tenter de me libérer de mes chaînes. Mon enfance, si on peut l'appeler comme telle, n'a pas été totalement stérile pour autant. Mon père n'avait que moi. Il accordait certes d'avantage d'importance à son entreprise et ses précieux employés, et cependant, j'étais son seul et unique héritier. J'appris beaucoup à ses côtés, même s'il n'avait que peu de temps à me dédier ; il me suffisait de l'observer. Je tâchai de l'imiter pour m'accaparer ses qualités, non sans omettre de me débarrasser des failles dont j'avais pu hériter. Mon père était un homme qui n'était que trop prompt aux compromis. Il s'imaginait pouvoir aimer ses employés tout en leur inspirant le respect, il se figurait pouvoir tout autant compter sur la dévotion de son fils cadet... J'ai tâché d'être digne de lui, d'une certaine façon. Où qu'il aille, je le suivais, avec plus d'entrain que de réserve, bien qu'une vie nomade ne soit pas la plus appropriée pour un enfant. C'est durant l'une de ces expéditions que je fis une rencontre décisive. Il était là, apeuré mais sauvage, couvert de poussière, de puanteur mais empli de défi. Son village avait subi les affres infernales d'un sorcier, mais lui était toujours là : Ezra avait survécu. Nous le trouvâmes au sain de cette contrée désertée de toute vie, et déjà fasciné, je fis tout ce qu'il m'était plausible d'accomplir pour persuader les miens de lui apporter notre soutien. Peut-être hésitai-je encore entre devenir un monstre ou un saint, à cette époque... Ezra avait connu une existence misérable, mais pleine de surprises et de saveurs. La mienne n'avait été jusqu'ici qu'ennui et altération d'une âme pourtant déjà bien morne... Je me délectai de chacun des discours de mon jeune ami et -bien que ce ne fût pas le cas de tout le monde-, je le croyais sur parole dès lors qu'il me contait je ne sais quelle merveille ou surnaturelle tragédie. Je suis prêt à croire n'importe quoi, pour peu que cela paraisse incroyable. Ma vie n'a finalement débuté que lorsque j'étais âgé de quatorze ans... Quand je découvris l'existence des sorciers... Je fus d'abord désespéré d'être encore plus insignifiant que je ne l'avais cru jusqu'ici. Il n'est rien de plus effroyable que de ne pas être doté de capacités à la hauteur de ses ambitions. Et toutefois, j'ai rapidement séché mes larmes, pour les enterrer dans le tombeau scellé de la défiance et de la haine. Certes, j'enviais ces êtres doués de magie, je les admire toujours, d'ailleurs, mais l'idée de ne jamais pouvoir les égaler consumait irrémédiablement ma raison : "Les méchants envient et haïssent ; c'est leur manière d'admirer. " Je n'avais de cesse de me renseigner à leur sujet, quitte à bafouer ma réputation et à passer pour un fou. Ne le suis-je pas, après tout ? Je profitai de chaque instant pour réaliser les expériences de la vie, je cherchai à rencontrer des gens, me faire des relations, j'alimentais ma soif insatiable de connaissance ainsi que mon désir farouche de surpasser ma condition de simple mortel, un jour ou l'autre... Hélas, je me rendais bien rapidement compte que cela me serait sans nul doute impossible. Mais que faire lorsque l'on est incapable de s'envoler auprès de l'oiseau dont on admire et convoite la liberté ? Il n'y a qu'une seule et ultime solution... Lui rompre les ailes, l'abaisser à votre niveau, à défaut de pouvoir atteindre le sien, aussi obsédant soit-il. Ezra avait beau grandir, murir à mes côtés et être mon meilleur confident, il ignorait jusqu'où dans l'ombre voguaient mes pensées. Et je me souviens, comme si c'était hier, de l'enterrement de mon père. C'était en 2010, je n'avais alors que dix-huit ans. Isaac n'avait jamais pris la peine de s'y montrer. J'observai le cercueil et les hommages qui lui étaient rendus, silencieux mais attentif. Les gens l'aimaient et se lamentaient, mais tout juste s'éloignaient-ils de la cérémonie qu'ils l'oubliaient, passaient à autre chose, souriaient. Est-ce tout ce que la bienveillance procurait? S'il fallait choisir en être aimé ou craint, mon chemin me semblait d'ores-et-déjà tracé. Ils avaient été surpris par la disparition subite de mon père, lequel, bien que vieillissant et cardiaque, était encore dans la force de l'âge. Au demeurant, nul ne s'est jamais douté que j'ai... quelque peu précipité son rendez-vous avec la faucheuse. J'étais jeune, à peine majeur, mais mature et déterminé. J'entrepris rapidement de diriger la Lincoln Corporation d'une main de fer. Ils voulaient me dépouiller de mes droits, bien entendu, prétextant vouloir assurer une sorte de régence, tant que je n'avais pas terminé mes études. Je parvins à réduire au silence chacun d'entre eux. Par la force de mes convictions, de mes efforts, j'acquis suffisamment de prestige pour en rassurer plus d'un. Quant aux autres, il me fallut hélas employer des méthodes plus sévères. Licenciements, mises en garde, tout était bon pour légitimer ma place, et ce n'est pas comme si j'étais seul... J'ai menti, menacé, j'ai même tué notre père pour devenir l'homme respecté que je suis, mais je ne le regrette pas. Je ne le regrette plus du moins. Ai-je passé des nuits à sangloter et à me lamenter sur mon sort ? Maudissais-je le fait de devoir en arriver là pour acquérir autant de puissance que ces sorciers ? C'est plausible. S'agit-il de souvenirs vagues et nébuleux ou de mauvais rêves lointains ? Quoiqu'il en soit, mes yeux sont arides désormais. Si c'était à refaire, rien ne serait occulté. J'ai trompé du monde, à commencer par les journalistes. La Lincoln Corporation fut d'abord présentée comme le défenseur des opprimés tandis que dans l'ombre, nous traquions les créatures magiques, les hosts... J'avais toutefois un but plus louable et réfléchi que provoquer un simple génocide. Au demeurant, il y eut un grand nombre de victimes. Mon univers a malgré tout fini par s'effondrer. Un jour, Isaac est revenu. J'observai mon frère, et un étau compressait ma poitrine tandis que je réalisai quel être il était. Je lui étais inférieur, sur tous les domaines, et j'étais encore capable de fléchir. La preuve : alors qu'il était à ma merci, je le laissai s'évanouir dans la nature. Isaac m'avait permis de réaliser combien je m'étais trompé. Un empire, dont les piliers ne sont que hargne, mépris et douleur, s'avère trop fragile. Je ne peux certes pas corriger le passé -en ai-je seulement le désir ?- mais je puis faire évoluer l'avenir à ma guise. Le destin ne nous a pas réuni au hasard, mon frère. Nous pourrions bâtir un monde à notre image. Nous pourrions être heureux.

Le caractère ...

Ne me forcez pas à me décrire moi-même ; j'en suis déjà ennuyé. Observez les autres : les gens gravitent autour de moi, je suis le cœur de tout ce à quoi ils aspirent, ou de tout ce qui les dégoûte. Je suis froid -très froid- aux yeux de ma secrétaire, le sénateur McGore pourra toutefois vous persuader du contraire, puisque je représente à ses yeux la plus fructueuse des collaborations, le plus précieux des amis. Persuasif, c'est ce que je suis. Manipuler les gens, c'est ce que je sais faire. Ce pion a-t-il besoin de sourires ou de menaces ? Je puis tout lui apporter. Spencer n'a longtemps vu en moi que de l'espérance. Elle et les autres femmes m'enlacent, cherchent à me séduire et s'enorgueillissent de mes flatteries, sans imaginer une seconde qu'elles manquent cruellement de virilité à mes yeux. Ils pensent tous connaitre tellement de choses à mon sujet, mais ils ne font que se complaire dans des illusions. La plupart finissent par apprendre -à leurs dépends- combien ils se sont fourvoyés. Je suis imprévisible, parce qu'indéchiffrable, et ma confiance n'est jamais totalement acquise : demandez donc à Ezra, ou Isaac... Un monstre nait-il chaque décennie ou n'ai-je fait que ramasser le bâton qui a servi à me faire battre pour obtenir ma revanche sur le monde ? Je n'en sais rien, je ne me repose guère sur mon passé. La seule certitude qui me semble acquise, c'est qu'il vaut mieux être bourreau que victime. Et quel bourreau exquis je fais. Il y a Dieu, moi et les fantômes. Je n'aurai de cesse d'exploiter les uns et de chasser les autres spectres qui me hantent, tant que je n'aurai pas obtenu ce que je convoite. Pourquoi Diable certains sont-ils nés avec tant de privilège et de puissance ? Nul mérite, nul exploit, et pourtant ils détiennent des capacités qui les dressent au dessus des rangs de l'humanité. Je suis parti de rien, mais je parviendrai à combler un jour ce vide que la magie et mon frère, ont laissé. J'ai longtemps maudit le sort d'être si... impuissant et insignifiant, à côté de mon aîné, certes, mais il se pourrait que la roue de Fortune puisse tourner. C'est le monde que je veux contenir dans la paume de ma main et si prétention doit impérativement être assimilée à ambition, qu'il en soit ainsi ; je suis le plus égocentrique des hommes. Qu'ils se figurent que je sois intraitable, cela m'importe peu, puisqu'ils hésiteront avant de se liguer contre moi. A l'inverse, qu'ils s'imaginent pouvoir m'apitoyer, je suis certain que je pourrais en tirer profit. Le monde est un vaste plateau de jeu où celui qui dresse le plus haut château de cartes remporte les empires adverses, ainsi que la victoire. Au demeurant, il existe une différence cruciale entre le divertissement et la réalité : les puissants du monde ne connaissent aucune règle, aucune limite... Les gens charitables n'ont aucun espoir de quiétude ou de survie. Et si je dois renoncer à tout pour conquérir le sommet de la forteresse inexpugnable du destin, je le sacrifierais... Ce qui a compté pour moi, mes espoirs déchus, mes rêves plus ou moins d'actualité, mes proches... Il n'y a encore que Ezra ou Isaac, qu'il me serait difficile d'abandonner. Certes, je n'ai pas encore atteint la perfection. Il est certaines déceptions, frustrations et faiblesses qui s'emparent parfois de moi à mon insu... pour me rendre fou. Cela reflète mon ambition de toujours : être un monstre ou un saint, au final, je m'en foutais, je voulais simplement devenir inhumain...

Sous le capot de la voiture...

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